Il y a quatre ans c'était encore un commissariat de police en plein centre de Cordoba. Pendant la dictature militaire il fut transformé en Département d'Informations de la Police de la Province de Cordoba, plus connu sous le sinistre nom de "D2", qui, pendant les années soixante dix a fonctionné comme Centre Clandestin de Détention. Depuis, j'ai suivi sa transformation en "Memorial de la Memoria". Maintenant il est terminé, je viens de le visiter une dernière fois. Je pensais faire des photos de ces lieux chargés de douleur et d'horreur, de ces graffitis déchirants écrits avec les ongles sur les murs lépreux des pièces minuscules servants de cellules, de ces bancs en ciment sur lesquels s'entassaient les prisonniers, serrés les uns contre les autres, les yeux bandés, attendant que ce soit leur tour de crier leur souffrance pendant les interrogatoires interminables. J'y ai renoncé.
J'ai préféré une vue ensoleillée du passage, rénové, avec à droite le mur des dépendances de la cathédrale et à gauche celui de l'ancien commissariat, quelques photos de personnes disparues flottant mollement sur des fils tendus entre les bâtiments. Une image presque bucolique.
Deux des trois empreintes avec, gravés, plus de mille noms de personnes disparues. La première empreinte, cachée, à gauche du porche d'entrée.
Depuis que, en décembre 2006, la Commission et les Archives de la Mémoire ont récupéré l'espace dans lequel avait fonctionné la terrible "D2", le passage Santa Catalina n'est plus le même. Son panorama, sa vie quotidienne ont été modifiés. S'y promener aujourd'hui est différent, la perspective a changé et les passants aussi.
Le Mémorial inscrit sur la façade de l'ancien centre de détention secret de la "D2" est un hommage aux assassinés et disparus de la province de Cordoba. Personnes qui, entre 1969 et 1983, ont été enlevées, torturées et exécutées par les forces répressives de l'Etat Terroriste.
Inscrire leurs noms dans l'espace public a nécessité de transformer ce lieu pour témoigner que le souvenir de leurs vies devait être enregistré comme une des façons de dire "Jamais Plus". Jamais plus à la torture, aux exécutions sommaires et aux disparitions de personnes. Jamais plus au vol de bébés. Jamais plus aux centres de détention clandestins. Jamais plus aux oppresseurs et assassins qui peuvent marcher sans avoir été condamnés dans les rues des villes.
Ce mémorial a été inauguré entre mars et mai 2008. Les lignes des empreintes digitales qui le composent sont une suite des prénoms et noms de tous ceux qui ont été privés de leurs droits. Elles rappellent que des hommes et des femmes ont lutté pour des idéaux politiques, culturels et religieux. Ces ouvriers, étudiants, mères, artistes, avocats, journalistes, théologiens, enseignants, employés ont été persécutés, enlevés, torturés et tués ou disparus.
Laisser en permanence ces empreintes dans l'espace public est une manière symbolique de rendre, en partie, l'identité de chacun des disparus à leurs familles et à la société cordobaise. Elles contiennent les noms des femmes et des hommes assassinés et disparus entre 1969 et le retour de la démocratie en 1983.
La mise à jour des listes des assassinés et disparus est un travail sans cesse permanent, le mémorial reste donc ouvert et prêt à recevoir les noms des personnes susceptibles d'y être incorporés.